Tout juste nommé en juillet 2019 à la tête de l’Opéra National de Paris, qui fêtait alors les 350 de sa création, l’allemand Alexander Neef déclarait « qu’il s’attacherait particulièrement à faire vivre le répertoire français, non pas de manière encyclopédique, mais en montant les bonne pièces et les pièces oubliées pour maintenir cette part d’héritage en vie. C’est une question d’identité. » Quelques mois plutôt, en février 2019, le Canadien Yannick Nézet-Séguin, nouveau directeur musical du Metropolitan Opera de New-York écrivait dans le magazine français Diapason : « bien cultivée, l’identité est une richesse ».
Toute la problématique de notre concours tient en ces quelques mots : héritage, répertoire, et identité. Mais n’oublions pas, il s’agit d’une identité vivante, issue d’une histoire multiple et féconde, et aujourd’hui encore, toujours créative.
Aujourd’hui dramaturge de l’Opéra Comique et professeure de diction lyrique au CNSMDP, j’ai été amenée à m’intéresser au chant lyrique pendant ma première vie de professeure de lettres. Alors que je préparais l’agrégation à la Sorbonne, j’ai commencé à écouter de l’opéra en autodidacte. Rapidement, le disque, puis quelques spectacles – à l’Opéra et à l’Opéra Comique –, puis des cours de chant m’ont attirée vers le répertoire français. J’y éprouvais des émotions plus intenses, sans doute en raison de ma formation linguistique. L’éloquence du chant s’y avérait corrélée à la prosodie de ma langue dont j’aimais tant la littérature.
À partir du poème fourni par son librettiste, chaque compositeur, pour toucher ses contemporains, a mis en œuvre sa sensibilité aux tournures, au lexique, aux sons de sa langue. À mon sens, le répertoire vocal constitue, pour chaque langue, un précieux corpus de témoignages notés qui restituent, à défaut d’enregistrements, les formes d’éloquence propres à chaque époque, l’éloquence des voix, l’éloquence des discours...
Dans la poésie et notamment l’alexandrin que la tragédie lyrique favorise, on a ainsi des suites de syllabes dont on doit être capable de déterminer la qualité (longue ou brève) afin de trouver le rythme de la phrase. L’alexandrin considéré comme parfait est le vers de douze pieds qui fait se succéder 4 fois 2 brèves et une longue, comme celui-ci, extrait du monologue d’Armide dans Armide de Lully: ‘ ce faTAL enneMY, ce suPERbe vainQUEUR’. Cela demande une grande attention non seulement à l’exécution (chanteurs et même instrumentistes) mais aussi et avant tout lors de la composition de la musique. Les maîtres anciens le savaient, ils utilisaient ces techniques rhétoriques qu’ils transformaient en
rythmes musicaux avec des successions de croches et de noires ou de noires et de blanches respectant le schéma prosodique (il suffit de lire la musique du vers précité pour le comprendre) Ces mêmes maîtres, lorsqu’ils enseignaient, attachaient une grande importance à cette rythmique, demandaient aux interprètes d’en être très respectueux dans leur art.
Béatrice CRAMOIX
Conseillère artistique pour le chant
Elle est devenue une mémoire vivante de cet art. Elle porte l’héritage des grands maîtres, une filiation qui lui a été donnée par Germaine Lubin avec laquelle elle a étudié. La noble et discrète mezzo, Nadine Denize, qui a toujours privilégié la musique à sa propre notoriété, nous livre ici tant une leçon d’humilité qu’un témoignage de sincérité et d’authenticité, n’ayant jamais oublié les mots du chef Wolfgang Sawallisch : « La voix est ce que l’on en fait ». En ce qui la concerne, la voix est aussi le reflet de ce que l’on est.
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Par Marion Mirande pendant les répétitions de Manon à l’Opéra Bastille, en mars 2020. Transcription Christophe Fel.
On reproche parfois au français d’être fade et sans relief. À écouter Benjamin Bernheim, nous ne pouvons qu’être convaincus du contraire. Interprète du Chevalier des Grieux dans Manon de Jules Massenet, il évoque la richesse musicale de ce rôle et de la langue qui le sert.
_ « J’ai le sentiment que Massenet ne s’est pas mis de limite aux capacités vocales du Chevalier Des Grieux, il a vraiment donné à ce rôle des possibilités assez infinies, que ce soit au tableau de Saint Sulpice (Acte 3) ou celui de l’Hôtel de Transylvanie (Acte 4), en opposition aux deux premiers actes qui sont assez intimes, lors notamment de la découverte et de la rencontre avec Manon. C’est extraordinaire ! »